Chapitre 18
Sullivan
Mercredi 21 Octobre
Je tourne et je retourne dans mon appartement, plongé dans la pénombre, c’est le soir de l’année où les gamins viennent toquer pour réclamer des bonbons. Chaque année, j’accole sur ma porte que je suis absent et qu’il est préférable de ne pas sonner, s'ils ne veulent pas que mon énorme chien aboie et réveil toute la résidence, chien que je n’ai pas bien à l’évidence, mais c’est la seule excuse qui marche. Je n’aime pas cette période de l’année, j’ai assez vu d’horreur dans ma vie pour m’infliger des costumes ridicules et des sourires d’enfant qui ne veulent que vous racketter dix fois dans la soirée.
Et j’ai autre chose à faire ce soir. Raphaël doit arriver, enfin, nous attendons depuis plus d’une semaine, après une panne de voiture, ils vont arriver d’une minute à l’autre, nous avons eu le temps de voir ensemble comment préparer l’arrivée puis comment on pouvait lui expliquer les choses, mentir avant de le rencontrer n’était peut-être pas la meilleure des choses à faire, mais si on avait dit “oui bonjour, nous enquêtons à notre propre compte l’affaire du meurtre de votre mère car nous pensons qu’une dingue fait tout pour mettre un innocent en prison et “ … il aurait certainement raccroché. Malgré que je n’aime pas recevoir des inconnus chez moi, ce soir je fais une exception, Susy m’a fait part de son ressenti et elle se sent, depuis quelques jours, de plus en plus épiée, elle n’est pas sûre, comme elle se retrouve seule et qu’elle sait que la suite des événements a une grande importance, elle en devient peut-être un peu parano, mais pour ne prendre aucun risque je préfère faire comme ça. Nous leur avons donné l’adresse de mon appartement, et Susy nous rejoindra peu de temps après, je lui ai indiqué quelques ruelles pour arriver plus rapidement ici et avec la foule dans les rues ce soir, elle pourra se faufiler si elle sent que quelque chose ne va pas.
Quelqu’un se trouve devant ma porte, j’entends des voix, j’approche mon oreille pour écouter, une femme et un homme, je ne discerne pas exactement ce qu’ils disent, quelque bride.
- C’est...
- Tu… Pas de bruit.
- To…
J’ouvre avant qu’ils ne toquent. Une jeune femme aux cheveux bleus et un homme se retrouvent face à moi, le jeunot a le poing encore serré et levé pour frapper à la porte, la midinette à côté est surprise, je les vu faire un saut à l’ouverture de la porte.
- Bonsoir.
- Bonsoir, désolé, je pense qu’on s'est trompé d’appartement…
J’avais tout réfléchi, notre plan, les choses à dire, mais je n’avais pas pensé à... quand je le verrais, je n’avais pas pensé à quel point son visage pouvait me faire penser à Athénaïs, il a les cheveux aussi noirs qu’elle quand je l’ai rencontré à la boîte de nuit il y a plus de vingt ans, je m’en veux terriblement. N’ayant toujours pas sorti un mot, ils s’éloignent.
- Raphaël !
- Comment connaissez-vous mon prénom ?
- Je vais tout vous expliquer, venez.
- Nous avions un rendez-vous avec Maître Pipot.
- Oui elle va arriver dans peu. Rentrez, je vous en prie.
Je n’ai pas encore rallumé les lumières et je vois la jeune femme prendre la main de Raphaël et se coller à lui.
- Je suis vraiment désolé, vous devez trouver tout cela étrange.
- Un peu oui…
- Écoutez, ça va vous paraître dingue, mais voilà, nous pensons que l’homme qui est en prison pour le meurtre de ta mère est innocent.
- Et c’est pour ça que vous m’avez appelé ? S'il est en prison depuis si longtemps c’est qu’il n’est pas si innocent que ça !
- C’est un coup monté !
- Mais bien sûr, viens bébé, on se casse !
- Non attendez !
J’ai tout fait foirer, merde, qu’est-ce que fait Susy bon sang, elle est plus douée que moi dans les discours sensé ! Ils ouvrent la porte et la fille hurle, pour le côté discrétion on repassera. En me décalant, l’horreur s’empare de moi, le costume le plus hideux que je n’ai jamais eu l’occasion de voir se tient devant ma porte, attendant des bonbons que je n’ai pas, c’est fichu, ils vont tous rappliquer maintenant !
- Bons…
- Je n’ai pas de bonbons… Raphaël ne part pas s’il te plait !
- Mais non c’est moi. Susy. J’ai trouvé ça plus prudent de me déguiser. Qu’est-ce qu'il se passe ?
- Ils veulent partir, je m’y suis mal pris !
- Tu es nul ! Attendez, je suis maître Pipot, vous allez trouver ça complètement étrange, une avocate en costume pour un rendez-vous en pleine nuit, et je vous l’accorde, mais écoutez ce qu’on a à vous dire ! C’est important !
- Qui est cet homme ?
- Il m’aide dans l’enquête.
- Il vous aide ? Comment ça ?
- Pouvons-nous rentrer pour qu’on puisse tout vous dire ?
Ils se regardent et la jeune fille tire Raphaël par la manche pour faire demi-tour.
- Bébé, ça ne coute rien, tu ne crois pas ?
Grand soulagement quand ils passent à nouveau la porte de l’appartement, Susy me fait un clin d’œil.
- Asseyez-vous, vous voulez quelque chose à boire ?
- Non merci.
- Ça ira. Dit timidement la jeune fille.
- Ok. Susy ?
- Un grand verre de whisky !
- Quel genre d’avocate êtes-vous ?
- Une avocate… Euh.., je travaillais il y a peu dans un cabinet d’avocats, j’avais à ma charge l’affaire du meurtre de votre mère.
- Quand vous dites “travaillais” c’est au passé ?
- Oui, j’ai été renvoyé.
- On marche sur la tête là, enfaite vous n’êtes pas avocate ?
- Si, enfin je l’étais, je ne le suis plus officiellement.
Ça avait l’aire si simple pendant les entraînements, et là on patauge sérieusement dans la semoule !
- Pourquoi m’avoir fait venir ici ? J’ai été bête de croire à un mensonge pareil.
- On va tous se calmer, ce n'est pas facile pour nous non plus jeune homme, je vous signale qu’on fait tout ça pour rendre justice à votre mère aussi, ça ne vous dérange pas qu’un homme potentiellement innocent, vit depuis des années, derrière les barreaux pour quelque chose qu’il n’a pas fait ? C’est pour ça que vous êtes là aujourd’hui, non ? Pour en savoir plus.
- Elle n’a pas tort bébé.
- C’est ridicule.
- Maintenant qu’on est là mon cœur, autant écouter ce qu’elle a à dire, puis si vraiment c’est du pipot…
Oups, grillés.
- Maître Pipot, c’est ça ?
- Désolée. Je suis Madame Vockwin, je vous promets de tout vous raconter, ensuite vous ferez comme vous voudrez ?
Je suis resté à l’écart tout au long des explications de Susy, le cœur battant, je voyais enfin un espoir, il est déjà enfermé depuis bien trop longtemps. Je n’ai même pas pu lui dire qu’on faisait le nécessaire pour le sortir de cet enfer, en vingt ans je n’ai pu le voir que deux fois, ils me refusent l’accès, et la seule qui aurait été certaine de le voir pour l’enquête c’est Susy, sauf qu’elle s'est fait virer. Je remuerais ciel et terre. C’est une promesse.
Susy a terminé, le silence est pesant, je me sers un nouveau verre de whisky et Susy me tend son verre pour ne pas perdre la main. Raphaël me regarde.
- J’en veux bien un finalement de verre de whisky, s’il vous plaît.