top of page

Épilogue 3

Tana

trente mois plus tard ...

L’hiver est là, son manteau blanc s’est installé, je me retrouve presque seule dans cette petite maison que je loue depuis maintenant 18 mois. Je suis heureuse, enfin j’essaie de l’être du moins. Maman et papa viennent nous voir régulièrement, ils évitent de parler du sujet qui fâche. Après ma rupture avec Raphaël, je suis repartie vivre chez eux, obligeant Athénaïs à s’installer chez son fils, mais elle a compris elle-même que la situation était trop gênante. L’ambiance entre Roselya et moi était glaciale, nos parents ont fini par comprendre et finalement ma sœur est partie s’installer dans l’université où elle étudie. Ce n'était pas plus mal, pour moi, elle n’existe plus, alors l’avoir loin de moi n’a été que bénéfique.

Je regarde par la fenêtre, elle joue dans la neige avec le fils de la voisine, Poggo notre chien adopté il y a peu, leur tient également compagnie, ils me font rire. Ils ont pratiquement le même âge, elle est emmitouflée dans son manteau d’hiver et ses joues rosissent à cause du froid, elle est si belle, elle lui ressemble tellement, je n’avais pas encore compris ce qu’il se tramait quand nous sommes arrivés à Sulani, c’est à notre retour bien après qu’il m'ait avoué avoir couché avec ma sœur. C’était une nuit, j’ai été prise de maux de ventre violents, mes parents m’ont accompagné à l'hôpital et on m’a annoncé tout simplement que j’étais enceinte de plus de trois mois. Je ne pouvais plus faire marche arrière, mais au moins, j’ai compris d’où venait mon odorat surdéveloppé et mes nausées continuelles.

Il n’y a que mes parents qui étaient au courant de ma grossesse, ils ont été si parfaits avec nous. Ma mère a été là pour m'épauler, elle m’a accompagné à chacun de mes rendez-vous. Je me souviens encore de leur visage quand ils ont appris la nouvelle, c’est sûr ce n’était pas prévu au programme, élever un enfant seule ce n'est pas facile, mais je m’en sors plutôt bien j’ai l’impression. Mon père a eu du mal à l’accepter, me voir avec le ventre rond n’a pas été facile pour lui, trop jeune et séparé du papa, mais malgré tout il a été là le jour même où elle a pointé le bout de son nez et j’ai même vu quelques larmes rouler sur ses joues, maman elle, m’a chaperonné jusqu’au bout, elle est rentrée avec moi dans la salle de travail et m'a soutenu comme une mère peut le faire avec son enfant. J’arrive à revoir son visage quand on m'a posé Eléana sur le ventre. Qu'est-ce que j’aurais fait sans elle ? Ce sont des grands-parents extraordinaires, de part leur motivation, j’ai trouvé en eux une épaule sur laquelle pleurer à n'importe quel moment, ils sont toujours là, unis, plus fort que jamais. Eléana les rend tellement heureux.

Ils ont été discrets sur ma grossesse, ils sont restés dans le secret jusqu’à la fin, respectant mon choix de ne rien dire à Raphaël, même si je sais qu’au fond d’eux ils désapprouvaient complètement ce choix. Je n’ai pas réussi à faire autrement, c’était trop tôt, je ne me suis pas sentie prête à affronter sa voix, je n’avais pas envie qu’il pense que cet enfant nous lierait à jamais, même si je sais que c’est le cas concrètement. 

Puis quand Eléana est née, ma mère a été un peu plus insistante, qu’il était en droit de savoir, et elle avait raison. Je ne sais que trop bien l’importance d’avoir une famille solide, je n’ai connu que des mensonges avant de retrouver mes parents et je n'avais pas envie de construire une confiance, sur un mensonge de plus. Alors en rentrant à la maison avec ma jolie poupée enroulée dans sa jolie couverture, que ma mère avait soigneusement tricotée, j’ai pris mon téléphone et j’ai composé son numéro… Je lui ai demandé si on pouvait se voir, que j’avais quelque chose d’important à lui dire, j’ai préféré lui dire de me rejoindre à la maison familiale, j’ai attendu dans ma chambre qui donnait directement sur celle d’Eléana, mes parents avaient tout réaménagé, c’était une chambre tellement belle, ils y avaient mis du cœur et surtout de l’argent, mais ils voulaient que tout soit parfait.

Quand Raphaël est arrivé, au début je n’ai pas su quoi dire, le revoir et entendre sa voix a été tellement dure, cette grossesse m'a accaparé tout mon temps, ne pensant qu'à l’avenir de ce petit être qui grandissait en moi et Raphaël était passé au second plan, ce fut moins difficile. Je crois que le jour où je lui ai dit de venir, quand il est rentré dans ma chambre, il n’a même pas fait attention, aux vêtements pleins de lait caillé, ni aux peluches et jouets qui jonchaient mon sol, il avait juste cru que je lui disais de venir pour réparer les pots cassés, même s'il a été honnête avec moi, je ne me sentais pas capable de lui pardonner, je ne me voyais plus dans ses bras alors qu’il n’a même pas su faire la différence entre ma soeur et moi.

Je ne savais pas comment trouver les mots, alors je lui ai demandé de m’accompagner dans la pièce à côté, et quand il a posé les yeux sur ce petit lit à barreaux qui contenait un si petit bout de 51cm et 3 kilos 420, il n’a pas vraiment compris sur le coup, et j’ai chuchoté :

    - Voici ta fille. Eléana, j’espère que ce prénom te plait.

Il n’a même pas répondu, ses yeux se sont remplis de larmes et il s'est contenté de prendre sa fille dans les bras. J’ai su à ce moment-là qu’il serait un super papa, et c’est le cas, il vient prendre chaque week-end sa fille, il n’est jamais en retard, il l’aime d’un amour inestimable, j’aurais tellement voulu vivre cette aventure avec lui, partager les mauvais moments de la grossesse comme les meilleurs, qu’il puisse ressentir les petits coups de pied et voir mon ventre s’arrondir de jour en jour, pendant ses neuf mois j’ai rêvé plusieurs fois qu’il m'accompagnait dans cette salle de travail, qu’il me tenait la main jusqu'à la délivrance, et serré contre lui, il me disait “Bravo mon Amour”.

Je n’ai pas encore digéré ce qu’ils m’ont fait, je n’y arriverai peut-être jamais, je pense parfois à Roselya, je me demande ce qu’elle fait maintenant, toujours dans les études probablement, papa et maman ne m’en parle jamais, ils savent que je ne veux rien savoir. Je ne l’ai pas revu depuis son départ, je sais qu’elle fait le nécessaire pour voir les parents quand je ne suis pas là. Je ne sais même pas si elle sait qu’elle a une nièce.

Athénaïs doit venir chercher Eléana aujourd’hui, elles vont faire du shopping, je peux commencer à faire du tri dans les placards, quand elles rentrent toutes les deux de courses, j’ai toujours l’impression qu’elles ont dévalisé les magasins, je m’entends très bien avec elle, elle ne s'est jamais immiscée dans nos vies, elle est toujours restée correcte avec moi et elle gâte beaucoup trop Eléana, je suis contente qu’ils aient pu se retrouver elle et Raphaël.

Eléana rentre dans la maison, elle parle de mieux en mieux, elle va bientôt fêter ses deux ans, ça passe tellement vite. Elle se débrouille tellement bien, elle grandit à vue d’œil. Poggo, son fidèle acolyte, là suit de près. Quand la sonnette de la maison retentit.

    - Mamie, mamie !

J’ouvre la porte et Raphaël se tient dans l’entrée, grelottant de froid. Je le fais entrer et prends soin de m’éloigner rapidement de lui.

- Ta mère n’a pas pu venir ?

- Non, elle est malade.

- Mince ! Eléana, va chercher ta valise mon coeur.

- Ça va ?

-  Elle va bien oui, elle vient de rentrer, elle a joué dans la neige toute l’après-midi, elle ne devrait pas faire long feu ce soir.

-  D’accord. Et toi ?

- Moi ? Ça va !

Qu'est ce que je pourrais dire d'autre ? Eléana revient charger, sa valise est plus grosse qu'elle, la pauvre quel genre de mère suis-je ?

-  Lourd papa. Lourd. Aideuh moi.

- Donne ma chérie. Papa va la prendre. Tu vas faire un bisou à maman avant qu’on ne parte.

-  Ba-Bay maman.

Elle m’enlace et me fait un petit signe de main avant de repartir vers son père, les au revoir sont toujours difficile, même si elle revient dimanche, mon petit coeur de maman souffre, mais quand je suis installée devant Netflix, je me dis que le calme c’est bien aussi. Eléana embrasse Poggo et bien collée contre son père, quitte la maison, laissant un grand silence. Je regarde la voiture, prendre le chemin inverse.

J’aime cette enfant aussi fort que je peux aimer son père, mais je ne sais pas si j’arriverai à lui pardonner un jour ce qu’il a fait…

bottom of page