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Chapitre 21

Lundi 12 Novembre

C'est un chapitre de ma vie que j'aurais préféré ne jamais écrire. Ma meilleure amie, je n'arrive toujours pas à y croire, personne n'y croit, tous les regards sont remplis de larmes, Clo n'a pas dit un seul mot depuis que je l’ai rejoint dans la petite ville où les parents de Béatrice vivent, elle s'est terrée dans un silence pesant. Vanessa quant à elle est l'ombre d'elle-même, Jovanno vide les boîtes de mouchoirs et Rob's, lui, qui est de nature très enjouée... n'est plus le même.

 

Nous l'enterrons aujourd'hui, ça me fait peur, je ne suis pas à l'aise avec la douleur des gens, j'accumule leurs émotions jusqu'à exploser à mon tour, même si je pense avoir déjà versé toutes les larmes de mon corps durant ses dernières heures. J'ai passé deux jours au commissariat, à raconter ma version des faits, je leur ai même montré le message sur l'ordinateur, qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? Dire que je menais une enquête alors que je n'étais plus avocate ? Il y avait deux options prévues : soit ils ne me croyaient pas, soit ils auraient fait en sorte que ça ne se sache pas et je ne veux pas qu'ils s'en prennent à un autre de mes amis, ni même à ma famille, alors j'ai préféré minimiser les faits, je sais c'est cruel, mais je n'ai pas su quoi faire d'autre... Je ne sais même plus à qui faire confiance puis ils ont fini par me laisser partir, même si au fond de moi, je sais que je suis coupable, que tout cela est de ma faute. Si j'avais écouté les dires de mes collègues, si je n'avais pas été égoïste nous n'en serions pas là aujourd'hui. Je regrette, je regrette tellement vous ne pouvez pas imaginer.
 

J'ai essayé pendant des heures de comprendre ce qui a pu se passer, j'en reviens toujours à la même conclusion, que je n'ai même pas été capable de me rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond. Béa n'aurait jamais mis les voiles comme ça, elle aimait partir à l'aventure, mais pas en laissant un vulgaire message sur l'ordinateur, j'ai appris à la connaître, j'aurais dû sentir le traquenard et non, l'amour m'a fait perdre la tête, comment j'ai pu être aussi absorbé par une idylle amoureuse pour ne rien voir ?


Parlons-en de cette histoire d'amour, j'ai le sentiment qu'elle va se terminer aussi vite qu'elle n'a commencée. Erobie n’est pas rentrée, j'ai réussi à l'avoir au téléphone, j'avais besoin que quelqu'un me soutienne, j'avais envie d'entendre sa voix rassurante, mais encore une fois, elle était pressée et n'a rien su me dire d'autre que "Ah, je suis désolée". Où est la Erobie tendre et aux petits soins du début ? Je crois qu'on dit bien : “loin des yeux, loin du coeur”, elle a raccroché sans prendre la peine de me demander comment j'allais, rien, elle est restée de marbre, d'une froideur extrême, comme si elle n'éprouvait aucun sentiment, ni pour moi, ni pour la perte de mon amie. Je n'ai pas la tête à chercher plus que de raison, j'ai d'autre chat à fouetter actuellement.



 

Je n’ose même plus les regarder dans les yeux, ils sont tous installés dans le salon à attendre, j'ai honte et le mot reste faible, je mens encore. On se rend compte trop tard de nos erreurs, certaines sont réparables et d'autres laisses des cicatrices insoignables, jusqu'à nous consumer intégralement. Son corps a été rapatrié hier après tout un tas d'analyses et une autopsie qui a révélé une forte dose de somnifère dans le sang, ils ont conclu à un suicide, foutaise. Je n'ai pas encore pu aller la voir et je ne sais même pas si j'en ai la force, la regarder sans vie et me dire qu’elle a vécu un enfer pour ses dernières heures, dieu sait ce qu’ils lui ont fait subir. Quand je ferme les yeux je la revois, allongée sur le sol, la peau si bleue... Est ce que ça me hantera toute ma vie ?

 

La maison est silencieuse, je n'arrive pas à tenir en place, j'observe la décoration, si douce et raffinée, Madame Riten se trouve toujours à l'étage, il y a une multitude de photos accrochées au mur, une petite fille souriante, je reconnais Béatrice, mon doigt caresse son visage à travers la vitre de verre. Dans une petite vitrine se trouve tout un tas d'objets, des pots en argile, des colliers de pâtes. Béa était fille unique, plus que choyée dans son foyer, elle parlait rarement de sa famille à la collocation, c'était un sujet un peu tabou pour elle, elle aimait ses parents, mais à ce qu'elle nous avait dit, ils lui en demandaient trop, ils avaient déjà organisé son avenir, ils voulaient qu'elle fasse de grandes études pour avoir une vie stable plus tard, ils rêvaient de la voir mariée à un homme important et surtout qu'elle leur fasse des petits enfants... Et Béa, elle, n'avait pas du tout envie de cette vie bien rangée. Je n'ose imaginer la douleur que peut ressentir sa mère à cet instant présent, perdre un enfant en pensant que c’est un accident ou un suicide. Jamais Béa n'aurait pu faire ça, elle était forte, jamais elle n'aurait pris des cachets au point de tomber dans l'eau sans pouvoir remonter...


 

J'entends encore, le cri de Clo quand je les ai appelés en pleurs pour les prévenir, il résonne encore dans ma tête, c'est l'appel le plus dur que j'ai eu à passer de toute ma vie. J'ai préparé mes affaires le plus vite possible pour les rejoindre, j'ai prévenu Sullivan, je suis sûre d'une chose, je ne veux plus être mêlée de près ou de loin à cette histoire, j'ai assez fait de dégâts comme ça. Il a compris, mais il a quand même essayé de me contacter plusieurs fois, je n'ai pas répondu à ses appels, je n'ai pas la force. J'ai écouté vaguement les quelques messages qu'il m'a laissé, ils ont enfin retrouvé cette femme, si seulement ça avait été un peu plus tôt. J'ai bien réfléchi et je ne peux pas faire comme si rien ne s'était passé, continuer à les aider est au-dessus de mes forces !


Ce jour-là, quand j'ai pris l'avion pour rejoindre mes amis à Brindelton Bay, je me doutais que je ne reviendrais pas et Madame Riten m'a appelé plus tard pour me dire de monter pour l'enterrement, Béa lui avait donné mon numéro en cas de soucis. Elle savait que nous étions extrêmement proches, à mon arrivée, elle a fondu en larmes, me serrant tellement fort contre elle que j'en ai perdu ma respiration. Comment je peux la regarder en sachant ce que j'ai fait, ce qui s'est réellement passé ? Elle croit que sa fille s’est suicidée alors qu’elle a été assassinée. J'ai envie de leur crier, pardonnez-moi, tout est de ma faute, je ne voulais pas, ce n'était pas censé se passer comme ça, mais aucun mot ne sort de ma bouche... J'aimerais tellement appuyer sur un bouton et repartir en arrière, je le ferais sans hésiter.
 

La voix tremblante de Madame Riten vient briser le silence de la pièce, son mari la tient par le bras, il nous regarde tendrement, il ne laisse rien paraître, il doit être fort pour deux.


- C'est l'heure les enfants. Nous devons y aller.



Il y a énormément de monde, Béa était sociable, aimée de beaucoup dans son village, nous nous sommes rassemblés dans le cimetière, elle va être installée à côté de sa grand-mère, dans un magnifique cercueil en bois.  Le passage à l'église a été insoutenable, tous ses pleurs, toute cette douleur, et les musiques tristes n'arrangent rien. Je n'ai pas pu aller la voir c'est trop dur. Rob's y est allé, certaines personnes en ont besoin pour commencer à faire leur deuil, je n'arrive pas à me dire que c'est ici que je vais lui faire mon dernier au revoir, quand l'épaisse couche de terre, recouvrira sa petite boîte qui contient son petit corps, tout sera terminé, nous ne la reverrons plus jamais, à ces pensées mes larmes ne cessent de couler, je ne veux pas. Pas comme ça.
 

Chacun de nous passe, un par un, lui souffler un dernier mot, quand vient mon tour, je pourrais dire n’importe quoi, mais elle ne m’entendra pas, j’aurais pourtant tellement de choses à lui dire, dans un sanglot étouffé, je caresse son lit éternel en lui demandant de me pardonner….

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