Chapitre 20
Mardi 6 Novembre
Nous avons retrouvé notre jeune couple samedi et dimanche dans un pub à quelques kilomètres de San Myshuno, nous avons revu ensemble certains détails, Raphaël nous a demandé à nouveau de tout lui expliquer, je comprends qu'il ait besoin de temps pour tout accepter, c'était notre dernière chance, je suis contente qu'on ait réussi à le persuader de nous écouter. Sa copine y est pour beaucoup je pense, ils sont vraiment si mignons ensemble.
Erobie me manque, elle a dû s'absenter pour son boulot, elle est partie il y a déjà deux semaines pour une durée indéterminée, l'appartement me semble tellement vide sans elle. Après cette fameuse nuit, on ne s'est pas quitté, la semaine qui a suivi a été de loin la meilleure que j'ai vécue depuis un moment, elle a été aux petits soins pour moi. Elle a énormément de qualité, même si, laisser sa brosse à dents sur le bord du lavabo m'exaspère, le fait qu'elle prépare le déjeuner tous les jours, pardonne ses petits défauts, on va dire qu'elle s'est presque installée à mon domicile faisant des allers-retours entre chez elle et chez moi, pour s'occuper de Fergus et assurer ses heures de travail. Je lui ai proposé de le ramener ici, mais Monsieur le Chat n'aime pas le changement. J'ai dû me faire à l'idée que ce n'était pas possible de rester sous la couette toute la journée avec elle. En attendant je peux retrouver son odeur dans l’écharpe qu’elle m’a laissé, mais ça ne remplace pas son corps de déesse.
J'essaie de rester positive en me disant que le mensonge est moins lourd à porter comme elle est loin, elle aurait forcément vu que je lui cachais quelque chose, ça a rendu les rendez-vous avec Sullivan et le jeune couple plus simples. Je me sens un peu coupable de l'avoir laissé partir sans ne lui avoir rien dit, mais je ne voulais pas qu'elle s'inquiète, son taf, c'est son avenir. Si je le lui avais dit, la connaissant, elle aurait abandonné le projet pour rester avec moi et il en était hors de question, je sais qu'elle aime son travail, ce serait égoïste de ma part. Puis c'est juste l'histoire de quelques semaines. Je lui dirais tout quand le moment viendra. J'ai tout mon temps alors que ce pauvre Chris lui, ne voit pratiquement pas la lumière d'un potentiel avenir, ça me met hors de moi de savoir qu'une femme sans aucun scrupule vit tranquillement pendant que lui croupit derrière les barreaux, comment peut-on être aussi monstrueux ?
Sullivan m'a fait un topo sur cette femme, manipulatrice, jalouse et j'en passe, je ne sais pas s'il est très objectif, car il ne l'appréciait déjà pas bien avant ce drame. Comment les gens peuvent faire des choses aussi abjectes en échange d'argent ? Elle n'a pas pu monter tout ça toute seule, c'est impossible, les preuves qui disparaissent, elle a forcément soudoyé des agents, ce qui indique qu'elle a le bras très long...
J’attends l’appel de ma dulcinée , à la même heure tous les soirs, je languis d’entendre sa voix sensuelle. Je n’ai pas le temps de boucler mon repas que mon téléphone sonne, c’est elle, je réponds comme une ado de quinze ans.
- Salut toi. Comment tu vas ?
- Bien et toi ? J’ai eu une journée hyper chargée.
- Ah oui ?
- Le client m’en demande toujours plus, il n’est jamais satisfait et je passe un temps fou à devoir tout recommencer. Et toi ta journée ?
- Ecoute comme d’hab, je passe mon temps à… Chercher un emploi, pas facile de trouver un job correct. Tu comprends je n’ai pas envie de redevenir stagiaire.
- C’est bien, tu vas finir par trouver… Rien d'autre ?
- Non ma vie n'est pas aussi palpitante sans toi. Tu rentres quand ?
- Je ne sais pas du tout, à cette allure-là je ne suis pas de retour avant un moment…
- Oh. Tu me manques tu sais.
- Je dois te laisser, je suis invitée au restaurant par la femme de mon client, nous devons voir ensemble quelles fleurs elle s’est enfin décidé à mettre…
- Tu me rappelles demain, bonne nuit chérie.
- A bientôt Susy.
Ce fut rapide, comme tous les soirs finalement, je commencerais presque à me demander si elle n’a pas quelqu’un d’autre dans sa vie. Il est tard, la nuit est tombée, je n’aime pas vagabonder dans les ruelles, mais j’ai de plus en plus l’impression d’être observée, je ne sais pas si je deviens parano, mais je préfère rester sur mes gardes. Ce n’est pas le moment de tout faire foirer.
Les soirs sont extrêmement frais, les gens trainent de moins en moins, les rues deviennent plus que silencieuses. J’ai réuni plusieurs infos sur cette fameuse Sidney. Fille à papa, qui a toujours vécu dans le luxe, mais rien de réellement concret peut-être que Sullivan pourra voir un indice important dans toute cette paperasse. Je ne resterais pas longtemps, juste le temps de régler deux ou trois détails, pour l’instant on essaie juste de rassembler au maximum d’infos pour avoir une potentielle piste d’où elle pourrait se trouver, sans ça, on va droit dans un mur. Raphaël et Tana s’occupent des réseaux sociaux et Sullivan tentes de joindre des contacts de confiance, enfin le peu qui daigne encore lui parler après ce qu’il a fait. Nous avons d’ailleurs omis d’indiquer que c’était ce dernier qui avait balancé sa défunte mère dans la gueule du loup, jamais il ne resterait, s'il l’apprenait.
Me voici au pied de l’immeuble, son appartement est toujours plongé dans le noir, je grimpe deux à deux les marches, et je rentre sans même toquer, il sait que je dois venir. Il est assis sur son canapé au téléphone, il remercie et raccroche dans la foulée.
- Du nouveau ?
- Non rien, mais Diago m’a donné le numéro de quelqu’un qui lui, pourrait peut-être se renseigner pour nous.
- Super. De mon côté rien du tout, enfin rien qui ne me saute aux yeux, je te le laisse, tu trouveras peut-être un truc ?
- Ça marche ! Tu sais si Raphaël et Tana ont trouvé des infos ?
- Si c’était le cas il nous auraient appelés, on les revoit d’ici quelques jours de toute façon. Je file, je n’ai pas envie de rentrer trop tard.
- Bonne soirée Susy. Fais attention à toi.
- J'essaie. Bonne soirée.
Je refais le chemin arrière, j’entends les éboueurs passer, le bruit des poubelles qui s'entrechoquent dans la benne. Ça me rassure un peu, je ne suis pas la seule à être dehors à cette heure-là. À l’embranchement d’une rue, je m’arrête, quelqu’un me suis. J’entends ses pas derrière moi, je me presse, mais sans avoir le temps de voir quoi que ce soit, l’inconnu m'attrape par le cou, je ne vois pas son visage, je suis terrifiée.
- Qu’est-ce que tu traficotes ?
- Je me promène. Qui êtes-vous ?
- Tu devrais arrêter de mettre ton nez là où il ne faut pas.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez, vous vous trompez de cible.
- Tu vois très bien de quoi je parle. Ne t’avise plus de le revoir sinon tu risquerais de finir comme ton amie Béatrice.
- Béatrice ?
- J’espère qu’elle a apprécié la baignade ! C’est ton seul avertissement.
…
Je suis restée assise, de longues minutes, ne comprenant toujours pas ce qui venait de se passer, je me relève et mes jambes manquent de me faire tomber. Je dois rentrer, appeler Sullivan avec le téléphone prépayé. Je longe les murs, je suis tétanisée par la peur de revoir cet homme, pas loin des quais, je remarque que les lumières des habitations sont pratiquement toutes allumées, des gens se sont attroupés, et un policier essaie de repousser les journalistes, en attente de potins croustillants. Une sonnerie m’indique une alerte info de “Crime Armony”, des putains de journalistes de renommée qui annonce toujours des trucs super glauque . Je glisse mon doigt sur l’alerte :
“En eau froide,
Le corps d’une jeune femme ….”
Mon cœur ne fait qu’un tour, je repense au mot de mon agresseur, “j’espère qu’elle a apprécié la baignade”. Nous n'avons aucune nouvelle de Béa, depuis qu'elle a quitté mon appartement. Il y a environ neuf jours, Rob's m'a appelé pour me demander si elle était toujours avec moi, je lui ai dis que non. Nous ne nous sommes pas alertés plus que ça, c'est bien le genre à Béatrice de partir en vacances sans en indiquer l'adresse. Et si c'était elle ? Je refixe l'article, pour en finir le contenu.
“... d’une trentaine d’années, vient d’être retrouvé dans Lacalo de San Myshuno…. Les causes du décès sont encore inconnues. Restez connecté.”
Je m’avance, j’ai besoin de savoir, je pousse légèrement les gens, qui ont la main collée sur leur téléphone filmant la scène, le corps est allongé par terre un drap posé soigneusement dessus, des cheveux dépassent, des cheveux bruns, un policier approche me demandant de reculer. Mes jambes ne tiendront plus longtemps.
- Monsieur, mon amie a disparu, elle n’est pas rentrée chez elle.
- Désolé madame, vous ne pouvez pas rester ici. Mon collègue est plus loin si vous avez une déposition à faire.
- Monsieur, je vous en supplie.
- Très bien, venez avec moi. Pouvez-vous me décrire votre amie s’il vous plaît ?
Après avoir fait une description détaillée de Béatrice, l’homme sort une photo de son calepin :
- Je suis désolé mademoiselle, est-ce bien votre amie ?
Son visage est gonflé, elle est blanche, tellement blanche. Mes jambes ne me retiennent plus, mon corps tombe au sol comme un vase qu’on vient de briser. Ce n’est pas possible… Qu’est-ce que j’ai fait Béa… Pardonne-moi…