Chapitre 5
Vendredi 12 Octobre
Pratiquement deux semaines se sont écoulées et rien, nada, que dalle, que tchi, peanuts, aucunes informations de plus. L'homme que j'ai contacté n'a pas daigné me répondre, ou au vu de son profil n'y passe même plus jeter un coup d'oeil. Je suis dans de beaux draps. Je passe mes soirées sur Internet à la recherche d'un truc, un tout petit truc qui pourrait me faire avancer dans cette satanée affaire, j’en viens à me demander si ce n'est pas voué à l'échec. J'ai perdu deux semaines, à fixer mon téléphone de jour comme de nuit, espérant recevoir ce foutu appel. Je suis désespérée. J'essaye de positiver en me disant que ce n'est pas grave, que je peux choisir un autre dossier pour repartir du bon pied, mais ça me fait royalement chier. Je le voulais ce dossier, c'était le plus intéressant de tous. Pfff. Comment je vais pouvoir aborder le sujet avec Mr Lidol ? Je vais passer pour une cruche incapable, et ça me met tellement en rogne.
Nous sommes vendredi, le déjeuner est passé et le travail se termine bientôt, je rêvasse en regardant la manifestation qui se tient en bas du bâtiment. Ils sont motivés et eux ne lâchent pas l'affaire, tous les jours ils sont là à brandir leurs pancartes et criant à tout bout de champ. J'ai un peu honte de ne pas m'être intéressée à leur cause, tout ça me prend tellement la tête et ça me chagrine, mais je dois reconnaître l'évidence, ce dossier n'était peut-être pas fait pour moi tout simplement. Je me suis précipitée en voyant l'opportunité de me propulser et je vais me planter en beauté. C'est décidé, je vais prendre le temps de réfléchir ce week-end et je donnerai ma réponse au patron lundi, je ne veux pas perdre plus de temps. D'autres personnes attendent d'être défendues.
Les collègues sortent dans un petit pub de la ville ce soir et m’ont invitée, ça tombe bien, car j'ai un grand besoin de sortir. Deux semaines enfermées, les yeux rivés sur un écran, c’est en train de me rendre folle, les preuves sont bien cachées, mais elles ne s'envoleront pas en une nuit. J'ai besoin de souffler puis j'ai envie de les connaître en dehors du travail.
- Madame Vockwin excusez-moi de vous déranger.
- Non pas de soucis Monsieur Lidol.
- Je venais vous voir pour savoir où vous en étiez avec le dossier Doguets.
- Toujours au même point Monsieur.
- Je vois. Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit il y a quelques jours, ne vous sentez pas frustrer Mademoiselle, tout un tas de dossier vous attendent et je suis sûr que vous ferez du très bon travail.
- Puis-je avoir le temps du week-end pour me décider ?
- Bien sûr. Lundi. Susy ne soyez pas inquiète, c'est bien mieux comme ça.
- Sûrement Monsieur…
- Allez, je vous laisse partir plus tôt ce soir, j'ai eu vent de votre petite soirée avec Dori, vous l'avez bien mérité. Où allez-vous ?
- Au pub sur le penthouse au quartier de la mode. Ce n'est sûrement pas le genre de soirée que vous appréciez.
- En votre compagnie, je le pourrais.
Euh là, je dois être rouge comme une tomate. Est-ce que je rêve ou se sont des avances ? Il a été très avenant depuis toutes ses semaines, mais je n'ai pas laissé paraître que j'étais intéressée. Enfin, j'espère, non, j'en suis sûre même, je ne suis pas du tout ce genre de nana. Un blanc gênant s'est installé. Comment se dépêtrer de ce genre de situation ?
- Bonne soirée et bon week-end. Merci encore.
- Bonn...
Je ne lui ai pas laissé le temps de finir sa phrase que je me suis enfuie, oui, c'est le mot, j'ai complétement fui ce moment plus que gênant. Mais pourquoi, pourquoi moi bon sang ! Ma petite voiture toute option m'attend sagement sur le parking pour m'emmener loin de tout ça. Les mains tremblantes, les clés m'échappent, en me relevant le reflet de Monica, Miss Promo Canapé, dans la vitre me fait sursauter.
- Monica, qu'est ce que tu fais là ?
- Je ne vais pas te le dire deux fois, il est à moi, alors pas touche.
- De quoi tu parles ?
- Ne fais pas l'innocente, je vois très bien tes petits sourires quand il vient dans ton bureau. Si tu crois que je vais te laisser prendre la place que j'ai durement gagnée. Tu rêves !
- Non mais redescends de ton piédestal Monica, qu'est ce que tu veux que j'en ai à faire de ta place ? Je suis avocate, tu es secrétaire, ta place, je ne la veux pas, je n'ai pas envie de faire le sale boulot toute ma vie moi.
- Tu vas me le payer.
Bon, je suis allée un peu loin dans mes paroles, il n'y a pas de sous métier, mais je ne vais pas la laisser me piétiner parce qu'elle est complètement parano ! « Tu vas me le payer », une grande malade celle-là encore.
​
...
En rentrant à l'appartement, rien n'a bougé, normal je vie seule, j'ai tendance à encore l'oublier. Personne ne sera là cette fois pour me conseiller, d'habitude pour les sorties c'est Béa qui m'habille, elle a plus de style que moi, mais maintenant, je vais devoir faire la grande, elle n'est pas là pour me trouver un truc pas trop ringard, ni balais dans le cul comme elle pouvait dire. Je n'ai plus trop de nouvelles d'eux. J'ai reçu quelques SMS de Rob's depuis deux semaines, mais rien de transcendant. La vie continue, j'ai l'impression. Je n'ai aucune idée du dress code de ce pub, un petit tour sur internet pour voir un peu l'ambiance, Dori m'a dit que c'était tranquille et simple, à voir les photos, c'est loin de ressembler aux pubs de Brindelton. En suivant les astuces que Béa m'a fait apprendre par cœur avant mon départ, le bas simple, un jean qui me mette en valeur, mais pas trop et un peu plus de fantaisie pour le haut ! Je pense que ça pourra le faire. Le temps d'une douche et d'un ravalement de façade et ça sera l'heure.
…
Je suis enfin en route, après quelques péripéties pour enfiler mon pantalon, mes fesses sont finalement passées. Ils m'attendent tous à l'entrée du bar, c'est drôle de les voir en tenue « normale », au travail on est tous tirés à quatre épingles. Dori sautille sur place.
- Que tu es belle Susy.
- Tu trouves ? Je n'ai pas voulu trop en faire ! Vous êtes tous superbe aussi, ça fait tout drôle, notre première soirée en dehors du travail !
- Les filles, j'ai faim, on y va ? Tu vas voir Susy, ils font des hamburgers maison, une tuerie.
La table est parfaite, Dori rit toutes dents dévoilées aux blagues de Nick, je suis tellement nostalgique, c'est comme si je retournais en arrière avec les colocs, où on passait souvent nos samedis soir autour d'une table similaire, à rigoler des conneries de Rob's. C'est un autre monde, mais eux aussi me paraissent sympas. Je pense qu'on peut bien s'entendre, je n'ai même pas vu le temps passer en leur compagnie tellement j’ai ri. Dori et Joy, la fameuse rousse canon, sont déjà sur la piste de danse, et à voir le déhanché de Dori, je ne l'aurais pas imaginé aussi décomplexé, c'est cool à voir. J'entends pour la première fois la voix de Louis, lui qui au travail est muet comme une tombe, quelques verres de vin et hop notre côté plus libre ressort. D'ailleurs, tous les verres sont vides.
- Qui veut une autre tournée ?
Tout le monde acquiesce. C'est vendredi soir et mince, on a le droit de se faire plaisir. Je ne suis plus tout à fait sobre non plus. J'aime bien cette sensation de légèreté. Par contre, le lendemain matin beaucoup moins. En attendant que le serveur prenne ma commande, je remarque une femme assise juste à côté de moi, je peux sentir son parfum, je dirais un mélange de cerises et de fleurs des champs. J'adore, si cela n'était pas déplacé, je poserais mon nez dans sa nuque pour sentir de plus près cette odeur exquise. Mais je ne peux pas. Je suis avocate, je sais ce que je risque. Un coup de fil brise ce moment olfactif parfait.
« Béa ».
- Allo ?
- Susy ?
- Oui. Attends, je sors.
- Hey c'est quoi tout ce bruit ?
- Je suis en soirée.
- Et tu es bourrée ?
- Oui ?
- Je croyais que tu devais bosser sur ton affaire ?
- J'ai aussi le droit de respirer. C'est quoi le souci ?
- Rien absolument rien. Tu dis que tu vas t'investir à fond dans ton taf et deux semaines après te voilà bourrée dans un bar avec je ne sais qui.
- Et toi qu'est ce que tu fais depuis deux semaines ? Pas un SMS de toi. Votre nouvelle coloc te prend tout ton temps ?
- On se rappelle quand tu seras plus disposée à parler...
- Je rê...ve...
Elle m'a raccroché au nez ? Je suis peut-être pompette, mais je crois rêver, elle me fait une scène alors que ça fait deux semaines que je n'ai pas de nouvelles d'elle.
- Bonsoir Mademoiselle Vockwin.
- MONSIEUR LIDOL ! Que faites-vous ici ?
- J'ai voulu venir faire un petit tour, pour découvrir cet endroit charmant, et voir mon employée en dehors du travail.
- Et vous avez aussi découvert la cave à vin ?
- J'ai goûté quelques crus avant de venir. Très bon d'ailleurs. Je voudrais profiter que l'on soit que tous les deux pour vous dire que je vous trouve vraiment ravissante, et que ce jean, hum un orgasme pour les yeux.
- N'allez pas trop loin Monsieur Lidol. Vous devriez rentrer.
- Susy rentre avec moi. Tu vas passer la plus belle nuit de ta vie.
- Je dois rejoindre les autres.
Il me retient fermement par le bras.
- J'ai été assez gentil, ça ne fonctionne pas comme ça, quand je veux quelque chose je finis par l'avoir, j'aime le personnage de la sainte-nitouche auquel vous jouer qui me fait frétiller l'entrejambe depuis des jours, mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps.
- Enlevez vos sales pattes. Je ne joue aucun rôle, je ne me laisse pas tripoter par les sales types dans votre genre.
- Tu vas venir avec moi !
- Il me semble que la jeune femme ici, vous dit « non », c'est pourtant parfaitement clair ? Si vous ne voulez pas que j'appelle la police, vous devriez partir Monsieur.
Il me lance un regard assassin avant de remonter dans sa berline. Putain, mais c'était quoi ça ? Je suis encore sous le choc quand une main vient effleurer mon épaule.
- Ça va ?
- Oui, je crois.
- C'était qui ce gros porc ?
- Mon patron.
- Aïe.
En relevant la tête, je reconnus la fille au parfum envoûtant, elle est encore plus jolie qu'elle ne sens bon, ses yeux sont si...
​
- Merci beaucoup, en tout cas.
- Il y a pas de quoi. Je suis Erobie.
- Susy.
- Enchantée, Susy.