Chapitre 6
Vendredi 12 Octobre (suite)
- Tu es sûre que tu vas bien ? Tu es toute pâle !
- Oui, les émotions sûrement.
- C'est un grand malade ce type. Ça fait longtemps que tu bosses pour lui ?
- Je suis avocate depuis seulement deux semaines. Est-ce que ça te dérangerait de m'accompagner marcher, j'ai besoin de prendre l'air. Enfin, sauf si tu es venue avec quelqu'un.
- Non, je suis libre, et ça me fera du bien aussi.
Elle appuie sur le bouton de l'ascenseur, je n'en reviens toujours pas de ce qu'il s'est passé. Comment a-t-il pu penser une seconde que j'avais envie de me retrouver dans son lit ? C'est mon patron, puis il n'est pas mon genre du tout. Comment ça va finir toute cette histoire maintenant ? J'avais déjà Monica sur le dos, mais là elle risque de faire un scandale si elle l'apprend et qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire au patron lundi en le voyant ?
Quelques petits sourires gênants ici et là, mais pas un mot n'est sorti de ma bouche. La légère brise de début d'automne s'est installée, je prends une grande inspiration pour en faire profiter mes poumons.
- Ça va mieux ?
- Ça fait du bien oui.
- Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais ça risque d'être compliqué de le côtoyer tous les jours non ? Surtout si tu portes plainte.
- Au risque de perdre mon travail ? Je ne peux pas. Et il n'a pas fait grand-chose et puis on le sait tous très bien que les plaintes de ce genre sont souvent classées sans suite.
Nous nous sommes posés sur un banc, j'essaye de réfléchir, est-ce que j'ai fait quelque chose qui aurait pu le mener à penser qu'il y avait une chance entre nous deux ? Mais je ne vois rien. Je n'ai pas tendance à laisser paraître quoi que ce soit de mes sentiments avec ma hiérarchie.
- À quoi tu penses ?
- Je suis en train de chercher ce que j'aurai pu faire de mal.
- Attends, Susy c'est toi la victime, n'inverse pas les rôles, c'est lui qui n'a pas su se tenir.
- Tu penses ?
- Non mais j'en suis sûr.
- Pfff, c'était vraiment pas le moment.
- Pourquoi ?
- Je suis déjà sur une affaire compliquée, je n'avance pas et j'ai peur que la scène de ce soir ne plaide pas en ma faveur.
- J'imagine que les cas que tu vois sont tous plus ou moins compliqués non ?
- Certains sont plus simples que d'autres. Je voulais faire mes preuves, et finalement, j'ai fait chou blanc.
- Tu penses qu'il pourrait te virer ?
- Possible. Ou tout faire pour me faire craquer du moins.
- Essaye de te dire que c'est un mal pour un bien ? Sans t'offenser bien sûr, mais qui sait jusqu'où il pourrait aller maintenant que tu as refusé ses avances ?
- Tu as peut-être raison. Mais j'ai tellement bossé dur. J'étais sur un cas qui me tenait à coeur. Même si je n'avance pas car je n'ai pas le moindre indice, j'avais vraiment envie.
- Je suis sûre que tu trouveras un autre cabinet où tu pourras faire tes preuves. Loin de ce gros porc qui se prend pour un don Juan. Beurk. Tu as envie de repartir à la soirée ?
- Je t'avoue que je suis un peu... Chamboulée, je pense que je vais rentrer chez moi.
- Ok.
- Est-ce que tu serais partante pour me raccompagner ? Je ne voudrais pas abuser, mais j'avoue que je flippe un peu de rentrer seule. Il est encore tôt et j'ai du vin au frigo. Ça te dit ?
- Ça tombe bien j'ai un peu soif. Ma bombe au poivre et moi-même serions ravis de faire un bout de chemin avec toi.
Erobie c'est un prénom vraiment original, en plus d'être jolie elle a le don pour me faire rire. Ça fait du bien. Au moins la soirée ne finira pas mal. Je suis rassurée qu'elle soit avec moi pour le retour. Après ce qu'il a fait, Jacques pourrait très bien se planquer pas loin. Il connaît mon adresse, mon numéro de téléphone enfin toutes mes coordonnées. J'ai des frissons dans le dos en repensant à sa phrase "quand je veux quelque chose je l'ai". Je suis sûre qu'il ne s'arrêtera pas là. C'est bien ma veine.
Pourquoi depuis que je suis ici, j'ai l'impression d'être un aimant à homme ? Paul, le fils du proprio, un des serveurs du restaurant qui me regarde intensément à chaque déjeuner et maintenant Jacques Lidol, le patron. Je n'ai rien demandé, je n'ai jamais aimé ça aussi loin que je m'en souvienne. Je n'arrête pas de regarder à droite et à gauche à chaque bruit que j'entends. Je vais devenir parano. Nous sommes arrivés, enfin, ces quinze minutes m'ont semblées une éternité. Petits coups d'oeil à droite et à gauche avant d'entrer le code de la résidence. Nous ne sommes jamais trop prudents.
- Je t'en prie entre .
- Oh ! Comme c'est mignon !
- Tu trouves ?
- Oui, je pense que ça te ressemble.
- Exacte. J'aime les couleurs.
- Je ne vois pas de quoi tu parles !
On étouffa un rire, c'est vrai, je me suis laissée un peu aller au niveau de la déco, mais au moins maintenant je me sens bien, enfin... Le souci c'est que si je suis virée je ne vois pas comment je vais faire pour payer mon loyer. Mais j'ai les pieds et les mains liées. Peut-être qu’en faisant mes preuves sur un autre dossier Monsieur Lidol me fera une faveur…
- Du vin ça te va ?
- C'est parfait. C'est plutôt calme ici non ?
- Hum, plutôt oui, il y a quelques semaines un voisin s'est installé au-dessus, j'ai entendu plusieurs fois des trucs tombés, ou des chaises traînés, mais depuis plus rien. Voisin ou voisine d'ailleurs je n'en ai aucune idée.
Je tendis le verre rempli généreusement de ce vin à la robe bordeaux. Nous nous sommes installées sur le canapé, nous avons discuté de tout et de rien quand mon téléphone se mit à vibrer.
​
Dori
<< Où es-tu ? On s'inquiète. >>
Je dois lui répondre, je m'en veux, je ne leur ai rien dit de mon départ, je suis partie comme une voleuse. Alors qu'ils m'avaient gentiment invité.
<< Je suis désolée Dori, j'ai du rentrer. Une urgence. Je t'en parle lundi. Amusez-vous bien. >>
Bien évidemment je vais devoir trouver une excuse, car je ne vais pas pouvoir lui dire la vérité sinon je risque d'empirer encore les choses.
- Désolé, une collègue de travail. Je les ai laissé en plan.
- Merde !
- Je l'ai rassuré par téléphone.
Je suis à nouveau alcoolisée. L'adrénaline de tout à l'heure m'avait fait redescendre à vitesse grand V, mais le contrecoup me fait remonter aussi vite.
- Tu fais quoi dans la vie Erobie, d'ailleurs c'est un très joli prénom, ça vient d'où ? Ça fait longtemps que tu vis à San Myshuno ?
- Ma grand-mère s'appelait comme ça, ma mère a pensé bon de me le donner en hommage. Je suis ici depuis quelques mois, je suis dans l'événementiel.
- Cool, ça doit être vraiment passionnant, pas comme mon boulot, tout le monde fait tout pour te mettre des bâtons dans les roues.
- Ah oui ?
- Oui, regarde, actuellement je m'occupe d'un cas, mon client a soit disant commis un meurtre. J'ai beau chercher dans tous les sens je n'arrive pas à trouver un seul indice qui pourrait me faire avancer. Sur Internet c'est le néant, comme si toute cette histoire avait été effacée. Enfin, tout sauf les rumeurs, rabaissant mon client. Tout es contre lui.
- Tu trouves ça bizarre ? Peut-être qu'il est tout simplement vraiment coupable ?
- Non, non, je n'y crois pas, trop de choses ne coïncide pas. Arrêtons de parler travail, je te ressers un verre ?
- Non, c'est gentil, mais je ferais mieux d'y aller il se fait tard, et je pense que tu as besoin de dormir un peu, je me trompe ?
Elle a raison, j'enchaine les bâillements, je ne tiendrais pas plus. Je n'ai même plus compté les verres de vin, peut-être trois ou quatre ou même cinq. Je vais avoir un sacré mal de casque demain.
- Tu habites loin ? Car si jamais tu préfères, j'ai une chambre d'amis à disposition, tu peux y passer la nuit si tu veux.
- Merci je n'habite pas loin. Cinq minutes maximum et Fergus, a besoin de manger.
- Fergus ?
- Mon chat, un gros patapouf de dix kilos. Et autant te dire qu'il risque de me faire la gueule si je ne lui donne pas sa gamelle. Alors je ferais mieux de filer et de te laisser rejoindre les bras de morphé.
Je suis un peu déçue, je pensais qu'elle accepterait, mais si Fergus l’attend, je ne vais pas être égoïste et le laisser mourir de faim. Elle prit son sac et fila en direction de la porte, il est quand même trois heures du matin, heureusement que je ne travaille pas demain, arf le travail, ça me revient dans la gueule comme un boomerang. Erobie, me tend un bout de papier avant de me souhaiter une bonne nuit. J'espère la revoir. Elle est vraiment très gentille.
Avant de me scanner dans le lit, je suis allée jeter un coup d'oeil par la fenêtre, je ne vois pas Erobie elle a dû passer par les quartiers sombres, elle n'a pas l'air d'avoir peur de grand-chose, vu comment elle a remis en place l'autre crétin de Lidol. Mon téléphone fait vibrer la table en bois. Qui peut bien m'appeler à cette heure-là ?
Inconnu
Il est trois heures du matin, je n'aime pas ça. Et si c'était l'appel que j'attendais depuis des jours ? Je ne peux pas prendre le risque de louper ça.
- Allo ?
- Madame Vockwin ?
- Oui c'est moi. Qui est à l'appareil ?